19.

Pendant toute l’après-midi du mercredi et tard dans la nuit, des étudiants de l’université de New York s’égaillèrent dans Greenwich Village et dans SoHo pour coller des affichettes sur les devantures des boutiques, les lampadaires et les arbres, espérant que quelqu’un reconnaîtrait Lisa « Leesey » Andrews et fournirait des informations permettant de la retrouver.

La photo d’une Leesey souriante que son amie Kate avait prise quelques jours auparavant, ses signes distinctifs, l’adresse du Woodshed, l’heure à laquelle elle avait quitté le club, l’adresse de son appartement vers lequel il était probable qu’elle s’était dirigée, les cinquante mille dollars de récompense promis à la fois par son père et par Nicholas DeMarco, tout était clairement précisé.

« C’est plus d’informations que nous n’en donnons habituellement, mais nous tenons à mettre toutes les chances de notre côté », avait dit le commissaire Larry Ahearn au frère de Leesey le mercredi soir. « Pourtant, Gregg, je vais être franc avec toi. Si Leesey a été enlevée, chaque heure qui passe diminue les chances de la retrouver saine et sauve.

– Je sais. » Gregg Andrews s’était rendu au quartier général de la police après avoir donné un calmant à son père et l’avoir installé dans la chambre d’amis de son appartement. « Larry, je me sens tellement inutile. Que puis-je faire ? »

Il était affalé dans un fauteuil.

Penché par-dessus son bureau, Larry Ahearn dit d’une voix calme : « Tu peux être un soutien pour ton père, prendre soin de tes patients à l’hôpital. Laisse-nous faire le reste, Gregg. »

Gregg fit mine d’être rassuré. « Je vais essayer. » Il se leva lentement, comme si chaque mouvement lui coûtait. Au moment où il atteignait la porte du bureau, il se retourna. « Larry, tu as dit “si Leesey a été enlevée”. Tu ne penses quand même pas qu’elle ait pu délibérément nous faire vivre ce cauchemar. »

Gregg ouvrit la porte et se trouva nez à nez avec Roy Barrott qui s’apprêtait à entrer chez son patron. Barrott avait entendu la dernière remarque d’Andrews et elle lui rappela ce que Carolyn MacKenzie avait dit à propos de son frère dans ce même bureau deux jours plus tôt. Il salua Andrews et pénétra dans le bureau d’Ahearn.

« On a retravaillé les vidéos, dit-il brièvement. Voulez-vous y jeter un coup d’œil maintenant, Larry ?

– Oui, certainement. » Ahearn regarda la silhouette de Gregg s’éloigner dans le couloir. « Croyez-vous utile de demander au frère de Leesey de les examiner avec nous ? »

Barrott tourna la tête et suivit le regard d’Ahearn. « Peut-être. Je vais le rattraper avant qu’il prenne l’ascenseur. »

Il rejoignit Gregg au moment où ce dernier appuyait sur le bouton et lui proposa de les accompagner jusqu’au laboratoire. « Docteur Andrews, les vidéos prises dans la soirée par les caméras de surveillance du Woodshed ont été agrandies, vue après vue, afin de pouvoir repérer si quelqu’un tournait autour de Leesey sur la piste de danse, ou si un inconnu l’a suivie au moment où elle s’en allait. » Gregg acquiesça sans dire un mot. Il suivit Barrott et Ahearn dans le laboratoire et prit une chaise. Barrott, qui les avait déjà visionnées à deux reprises, commenta à leur intention les images qui se déroulaient sous leurs yeux.

« À l’exception des amis avec lesquels elle a passé la soirée, il n’y a rien de significatif. Tous affirment que Leesey ne les a pas quittés sauf pendant le quart d’heure où elle est allée s’asseoir à la table de DeMarco et lorsqu’elle était sur la piste de danse. Après le départ de sa bande de copains à deux heures du matin, elle n’a pas cessé de danser. Elle s’est seulement assise à une table au moment où l’orchestre se préparait à partir. La salle était presque vide alors et nous avons deux vues d’elle avant qu’elle ne quitte le club, seule. Elles sont très nettes.

– Pouvez-vous repasser celle où elle est assise à la table ? » demanda Gregg.

Une vague de tristesse l’avait envahi à la vue de sa sœur.

« Bien sûr. » Barrott actionna le retour en arrière de la vidéo. « Avez-vous constaté quelque chose qui nous aurait échappé, docteur ? demanda-t-il, d’un ton volontairement neutre.

– C’est l’expression de Leesey. Elle souriait pendant qu’elle dansait. Regardez-la sur cette image. Elle a l’air si pensif, si triste. » Il marqua une pause. « Notre mère est morte voilà deux ans et Leesey a eu beaucoup de mal à surmonter son chagrin.

– Gregg, crois-tu que cet état d’abattement aurait pu déclencher une sorte d’amnésie passagère ou une crise d’anxiété qui l’aurait poussée à faire une fugue ? » La question d’Ahearn était pressante et exigeait une réponse directe. « Est-ce possible ? »

Gregg Andrews porta ses mains à ses tempes qu’il pressa fortement comme pour stimuler sa réflexion. « Je ne sais pas, dit-il enfin. Je n’en sais vraiment rien. » Il hésita, puis poursuivit : « Mais je mettrais ma main au feu que ça ne s’est pas passé comme ça. » Barrott avait actionné l’avance rapide. « Très bien. Pendant cette dernière heure, chaque fois que la caméra la filme, elle n’a jamais le moindre verre à la main, ce qui confirme les déclarations du serveur et du barman selon lesquels elle n’a bu qu’un ou deux verres de vin au cours de la soirée et qu’elle était tout à fait sobre en partant. » Il arrêta le projecteur. « Rien », fit-il d’un ton déçu.

Gregg Andrews se leva. La voix crispée, il dit : « Je vais rentrer chez moi à présent. J’opère demain matin et j’ai du sommeil à rattraper. »

Barrott attendit qu’il soit hors de portée de voix, puis se leva et s’étira. « J’aimerais bien rattraper un peu de sommeil moi aussi, mais je vais faire un saut au Woodshed.

– Croyez-vous que DeMarco y sera ce soir ? demanda Ahearn.

– Mon instinct me dit qu’il viendra. Il sait que nos hommes vont se répandre dans la salle. Et il est assez malin pour deviner qu’il y aura foule. Les clients afflueront, par pure curiosité, et les prétendues célébrités vont se précipiter, sachant que les médias seront présents. Croyez-moi. Les charognards rôdent.

– Sans doute. » Ahearn se leva. « Peut-être l’avez-vous déjà vérifié, mais la piste du téléphone portable de Leesey indique que la personne qui le détient en ce moment s’est baladée dans Manhattan pendant toute la journée. Or DeMarco n’est rentré de Caroline du Sud que tard dans la matinée, il faudrait donc qu’il ait un complice si c’est lui qui est coupable.

– J’aimerais croire que cette fille a perdu les pédales et que c’est elle qui court dans tout Manhattan », fit remarquer Barrott en enfilant sa veste. « Mais je ne le pense pas. Je pense que celui qui l’a enlevée s’est déjà débarrassé d’elle et qu’il est assez malin pour savoir qu’en laissant le portable ouvert, il nous emmène où bon lui chante.

– Et assez malin pour savoir qu’en se déplaçant avec le téléphone de Leesey, il fait croire qu’elle est toujours en vie. » Ahearn avait l’air songeur. « Nous avons épluché le passé de DeMarco, nous savons tout sur lui, y compris à quel âge il a perdu ses dents de lait. Rien ne laisse supposer qu’il ait pu tenter un truc pareil.

– Avez-vous découvert quelque chose d’intéressant dans les dossiers de ces trois autres filles qui ont disparu ?

– Rien. Nous avions déjà tout passé au peigne fin. Nous examinons les relevés des cartes de crédit depuis lundi soir pour voir si les noms des clients du Woodshed correspondent aux noms des habitués des bars à l’époque de ces affaires.

– Ouais. Bon, à bientôt, Larry. »

Ahearn observa le visage de Barrott. « Vous pensez à quelqu’un d’autre que DeMarco, n’est-ce pas ?

– Je ne suis pas sûr. Laissez-moi réfléchir », répondit vaguement Barrott.

Mais il était clair qu’il avait une idée en tête.

Où es tu maintenant ?
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